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Pétition
Angoisse des carrefours sans fontaines,
Mais avec à tous les bouts des fêtes foraines.

Jamais franches, ou le poing sur la hanche,
Par le temps qui court,
Avec toutes l'amour s'échange,
Simple et sans foi comme un bonjour.
Ô fleurs d'oranger cuirassées de froid satin,
Elle s'éteint,
La mystique Rosace,
À voir vos noces
De sexes livrés à la grosse
Courir en valsant vers la fosse
Commune...

Pas d'absolu,
Des compromis,
Tout est pas plus,
Tout est permis.

Et cependant, ô du Mal, laissez-moi Circés
Sombrement coiffées á la Titus
Avec des yeux en grand deuil comme des pensées;
Et passez,
Béatifiques Vénus
Étalées découvrant leurs gencives
Tous vives,
Et leurs aisselles au soleil
Comme on bâille après le sommeil,
Tenant sur fond d'or le lotus
Des sacrilèges domestiques,
Et faisant de l'index : motus.

Passez, passez, encor que les yeux vierges
Ne soient que cadrans d'émail bleu
Marquant telle heure que l'on veut
Sauf á cacher leur heure immortelle
Et tout ce qui est bien elle,
Ô nuptiales, animales,

Ô blanchissages, oh? leur chambre...
Oh! à tout âge
On peut les en faire descendre.
Et les petits soins secrets,
Et leur triste voix sans timbre,
Et leur salive de gingembre.
Et leur suicide à froid
Et puis l'air de dire : « De quoi ?... »

Sans doute au premier mot
On va choir en syncope,
(On est si vierge á fleur de peau)
Mais leur destinée est bien interlope.

Oh! qu'elle laissât là ce rôle d'ange,
Et adoptât l'homme comme égal,
Et que ses yeux ne parlent plus d'ldéal,
Mais simplement d'humains échanges,
À la fin des journées,
Quand les tambours, quand les trompettes
Ils s'en vont sonnant la retraite
Et qu'on prend le frais sur le pas des portes,
En vidant les pots de grès
À la santé des années mortes
Qui n'ont pas laissé de regrets,
Ton ton tontaine tonton...

Jules Laforgue

1ère parution:
La Vogue le 11 octobre 1886.

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