La première nuit
Voici venir le soir doux au vieillard lubrique. Mon chat Mürr, accroupi comme un sphinx héraldique, Contemple inquiet de sa prunelle fantastique Monter à l'horizon la lune chlorotique. C'est l'heure où l'enfant prie, où Paris-Lupanar Jette sur le pavé de chaque boulevard Les filles aux seins froids qui sous le gaz blafard Vaguent flairant de l’œil un mâle de hasard. Moi, près de mon chat Mürr, je rêve à ma fenêtre. Je songe aux enfants qui partout viennent de naître, Je songe à tous les morts enterrés d'aujourd'hui. Et je me figure être au fond du cimetière Et me mets à la place en entrant dans leur bière De ceux qui vont passer là leur première nuit. Jules Laforgue1ère publication:
Œuvres Complètes (Mercure de France) 1903