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Prière suprême
Regrets des jours bénis, frissons sacrés du doute,
Appels à la Justice éternelle, et là haut
Les vastes cieux muets qui continuent leur route,
Et le morne infini qui reste sans écho!

Ennuis, élans de l'âme exaspérée et lasse,
Désespoir de songer le soir, loin des vains bruits,
Qu'on ne verra jamais ces frères de l'espace
Qui sanglotent vers nous dans le calme des nuits!

Farouche vision du grand jour de la Terre
Lorsque, les temps venus, le sanglant drame humain
Aura son dénouement obscur et solitaire
Perdu dans la splendeur du calme souverain!

Et tandis que tout change, et s'élève, et s'écroule,
Insensible aux appels qui jaillissent d'en bas
La loi de l'univers tranquille se déroule
Vers la Fête lointaine où nous ne serons pas !

Et le renoncement, le refuge suprême
De l'atome éphémère au sein de l'océan,
La contemplation sans espoir, sans blasphème
Dans l'attente de l'heure où l'on rentre au néant.

Pitié, je n'ai qu'un jour, Immortelle Existence,
Ce cri qui peut demain, sans nom, s'évanouir,
Laisse-moi le chanter, seul devant ton silence
Dans la solennité de minuit et mourir.

1er juin 1880
Jules Laforgue

1ère publication:
Poésies Complètes (Le Livre de Poche) 1970

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