boutonboutonboutonboutonbouton

Ô ÉTOILE DE FRANCE
       1870-1871
Ô Étoile de France
Le rayonnement de ta foi, de ta puissance, de ta gloire,
Comme quelque orgueilleux vaisseau qui si longtemps mena toute l'escadre,
Tu es aujourd'hui, désastre poussé par la tourmente, une carcasse démâtée ;
Et au milieu de ton équipage affolé, demi-submergé,
Ni timon, ni timonier.

Étoile sinistrement frappée,
Astre, non de la seule France, symbole de mon âme ses plus précieuses espérances,
Lutte et audace, divine furie de liberté,
Astres d'aspirations vers l'idéal lointain, rêves enthousiastes de fraternité,
Astre de terreur pour le tyran et le prêtre.
Étoile crucifiée, vendue, par des traîtres,
Étoile palpitante sur un pays de mort, héroïque pays,
Étrange, passionné, railleur, frivole pays !
Malheureuse ! Mais je ne veux pas te blâmer, maintenant, pour tes erreurs, tes vanités, tes péchés ;
Ton infortune et tes souffrances sans exemple ont tout racheté,
Et t'ont laissé sacrée.
Parce que, dans toutes tes fautes, ton but fut toujours haut placé,
Parce que tu ne te serais jamais vendue quelque grand que fût le prix,
Parce que certainement tu te réveilles de ta mauvaise ivresse et pleurante,
Parce que seule parmi tes sœurs, toi géante, tu déchiras ceux qui te déshonoraient,
Parce que tu ne pourrais pas, tu ne voudrais pas porter les chaînes traditionnelles,
Pour cela cette crucifixion, ta face livide, tes pieds et tes mains cloués,
La lance enfoncée dans ton flanc.

Ô Étoile ! Ô vaisseau de France, mis en fuite et bafoué !
Soutiens-toi astre frappé ! Ô vaisseau, repars !
Aussi sûrement que le vaisseau de tout, la Terre elle-même,
Produit d'un incendie de mort et du tumultueux chaos,
Se dégageant de ses spasmes de rage et de ses déjections,
Et apparaissant enfin, tout en puissance et beauté,
Et se mettant à suivre son cours sous le soleil,
Ainsi toi, ô vaisseau de France !

Finis les jours, chassés les nuages,
Accomplis l'œuvre de peine et la métamorphose longtemps cherchée.
Voyez! ressuscitée, haut au-dessus du monde européen,
(Et répondant en allégresse, et comme face à face de loin, à nos Etats-Unis)
De nouveau, ton étoile, ô France, belle resplendissante étoile,
Dans la paix céleste, plus pure, plus radieuse que jamais,
Rayonnera immortelle.

Ce poème en V.O.
Walt Whitman (Traduction de Jules Laforgue)
 

boutonboutonboutonboutonbouton

bouton